Bibliographie

Ce goût de la couleur, cette santé, ce lyrisme, ce sont précisément les qualités qui, dès son accession dans l’arène de la vie artistique, ont signalé et mis en relief la personnalité de Germaine Lacaze, qui, ayant acquis auprès de Lucien Simon la substance solide de sa culture plastique, libéra, sous l’influence de l’exemple et des leçons d’Othon Friesz, ses prédispositions innées d’Occitane et sa propension à un néo-fauvisme ordonné.

Une autre caractéristique de sa personnalité provient de ses origines familiales : ses deux lignées, paternelle et maternelle, ont fait d’elle une Occitane à part entière, les Landes, le terroir de Tarbes, Toulouse (Tolosa o moum païs !…), une enfance bordelaise entre les montagnes des Pyrénées, l’estuaire de la Gironde et le bassin d’Arcachon, il y a là de quoi former la gerbe d’un tempérament.
Son hérédité girondine la prédestinait à l’amour de l’Espagne, et c’est bien effet tras los montes qu’elle trouve, plus encore que dans sa Gascogne natale, le climat qui est le sien. Les poèmes, le Romancero gitano qu’elle récite aux paysages de la Navarre ou de la vieille Castille, ceux-ci les infiltrent, comme un sortilège, dans la pâte dense et grasse où se reflètent les crépuscules qui dorent et mordorent les pueblos à l’heure du paseo. Un amour sensuel mais sans fièvre ni morbidité de la vie anime le pinceau de Lacaze, qu’il caresse le modelé d’une baigneuse endormie, exalte les fleurs, capte l’espace et l’air de vastes horizons.

Sans doute y a-t-il une vertu persuasive dans un art aussi franc, aussi sain, qui transmue chaque toile en un hymne à la couleur en même temps qu’un cri d’amour à la nature, et un plain chant à la gloire de la vie.

Guy DORNAND
Préface 
Documents n°186 Editions Pierre Cailler – 1963

Quelle expression parfaite du « bonheur raisonné », le fondement de vivre décelé par Montesquieu pour son pays bordelais, donne la peinture somptueuse de Germaine Lacaze ! …

C’est la raison dans l’amour pour les êtres et les lieux, dans la joie de vivre ; pour l’artiste, la saveur de peindre, d’exalter les couleurs, la lumière. Images poétiques, vibrantes, étalent une large gamme de sensations directes, spontanées. … Sa peinture, univers ensoleillé, resplendissant de fleurs, débordant de vie et d’humanité s’explique ainsi, de même comme une réponse à cette époque pourvue à tout moment de drames.

L’artiste se révèle de cette souche des « femmes des Landes, décrites par le bordelais François Mauriac, comme supérieures aux hommes, fortes dans leur raison d’être par la volupté pure de vivre dans le rythme de la nature. … D’où la franchise de l’expression dans l’art de Germaine Lacaze. Une apparence de facilité pour regarder et lire les images cache le sentiment essentiel de la vie avec tous ses tourments. …
Toute son œuvre dégage une tendresse pour les êtres, pour les lieux, pour les souvenirs.

Un art d’émotion, d’ambiance, un dépassement de la médiocrité du quotidien.  … L’ardeur de la peinture passe avant le sujet – représentation des « choses ». … L’âme de l’artiste devient l’âme de l’œuvre.

Jacques-Adelin BRUTARU
Extrait de « Germaine
Lacaze » aux Editions Mayer – 1983

Autour des années trente et trente-cinq, une nouvelle génération de peintres, lassés des querelles esthétiques, refuse l’art des formules et du seul métier. L’invention de formes qui ne doivent rien qu’à elles-mêmes ne les intéresse plus parce que ces formes ne touchent ni à la sensibilité, ni à l’intelligence … Ils veulent redonner à l’homme et aux sentiments humains la place primordiale. Ce qui signifie nullement qu’ils se définissent contre les esthétiques précédentes pour un retour à des habitudes académiques, mais bien plutôt qu’ils cherchent une voie médiane entre la tradition académique qui leur a été enseignée et la turbulence sans solution de leurs aînés. Cultivés artistiquement, ayant beaucoup appris, ils veulent se trouver en concluant un pacte avec le bonheur …

Les peintres de la Réalité Poétique savent dépasser le strict naturalisme pour atteindre le ravissement poétique. Leurs oeuvres indépendamment du sujet qui le plus souvent est un prétexte, nous offrent de pures musiques de couleurs. Cette lignée d’artistes qui reconnait en Bonnard leur maître suprême, va rejoindre parfois les franges du Fauvisme. Chez Legueult, Bezombes, Limouse, Caillard, Germaine Lacaze et Terechkovitch, la couleur demeure comme un émerveillement de l’enfance …

Mais qu’en pensait-on à l’Ecole des Beaux-Arts que tous ces jeunes fréquentaient dans les années trente ? Un certain vent de libéralisme soufflait par l’intermédiaire de certains patrons, comme Lucien Simon, également présent à la Grande Chaumière, mettant en rapport de jeunes peintres comme Brianchon, Legueult, Humblot, Rohner, Lacaze, Despierre, Sarthou, Brayer, Fontanarosa. « Nous n’ignorions rien, écrira plus tard Yves Brayer, des techniques modernes mais nous étions plus sensibles à un réalisme, soit tragique, soit poétique, qu’au cubisme qui nous paraissait déjà comme une expérience achevée » …

On est toujours surpris par « leur regard étonné d’enfant ». Bien sûr Germaine Lacaze n’est plus l’enfant émerveillée, ni l’adolescente éprise de promenades solitaires dans le vignoble bordelais. Mais son regard s’étonne toujours, non par naïveté, mais parce qu’il y a toujours un mystère des formes et des couleurs, un mystère qu’après soixante ans de peinture on n’a pas réussi à élucider … mais qu’on a appris tant bien que mal, à conjurer en le transposant sur la toile.

J.R.

Germaine Lacaze est enjouée et grave, réservée et sensible. On trouve chez elle la rigueur espagnole et la douceur girondine. A peine a-t-on parlé de sa prudence qu’il faut parler de son audace, de son exubérance méridionale qu’il faut montrer sa raison. Elle restera toute sa vie foncièrement indépendante … Cela explique qu’elle soit restée un peu à l’écart des peintres contemporains, alors qu’elle en est très proche. Et si elle garde quelque distance, c’est qu’étant une fille, la plupart d’entre eux l’ont ignorée, sauf ses compagnons de la Réalité Poétique.

Il semble que sa vocation soit née très tôt, exacerbée par la lumière du Midi. Comme Yves Brayer, elle entre aux Beaux-Arts dans l’atelier de Lucien Simon qui a tout de suite remarqué ses dons. C’était un homme capable de comprendre les autres et de reconnaitre leurs qualités. Il a formé et conseillé toute une génération de peintres. Dans l’enseignement de la peinture, il a été un peu à son époque l’équivalent de Gustave Moreau.

Chez Simon, Germaine Lacaze va apprendre ce dessin cursif, qui, comme chez Brayer, approfondit le sujet. La plume tranchante perce et griffe le papier. Son dessin, c’est voir, plus vouloir. Dans toute l’oeuvre de Germaine Lacaze on retrouve cette volonté. Le dessin est le squelette, la charpente et la syntaxe de son travail …

A l’armature du dessin va se joindre de plus en plus impérativement le besoin de la couleur. Germaine Lacaze s’empare des couleurs et les fait jouer sous le soleil avec un bonheur qui la révèle à elle-même. Désormais cette couleur jouera un rôle essentiel dans sa peinture. Elle cherche par tous les moyens à maîtriser « cette couleur qui vous affole » …

L’histoire de la peinture de Germaine Lacaze se caractérise par cette décisive prise de pouvoir de la couleur, enserrée dans l’armature de la composition et du dessin, et exaltée enfin jusqu’à l’incandescence dans ses paysages d’Espagne et de Venise …

Si loin qu’elle aille dans la transposition, Germaine Lacaze ne quitte jamais le sol, elle demeure près de nous dans un monde généreux où les fleurs et les fruits s’offrent à profusion. Comme Renoir, comme Bonnard, elle a choisi de ne montrer que des bonheurs. C’est ainsi que cette oeuvre s’inscrit tout naturellement dans la tradition de la peinture française par une alliance savante de l’attention avec la spontanéité. De cette attirance naît tout son charme. C’est que Germaine Lacaze est grave dans l’enjouement, tendre dans la pudeur, secrètement passionnée et pleine de raffinement dans la simplicité …

Que ce soit en peignant des femmes, des enfants, des fleurs, des fruits ou des paysages, c’est toujours le même chant d’allégresse qu’elle nous transmet. Elle n’a pas de drame angoissant ou d’inquiétude obsédante à nous faire partager. Elle est libre, libre d’éprouver de l’allégresse devant un paysage, une fleur, un fruit, un visage ou un torse doré au soleil. « C’est si bon de se laisser aller à la volupté de peindre », disait déjà Renoir.

J.R.

Sous la haute verrière, tout semble inondé de lumière et de couleurs ; quelques œuvres accrochées aux murs, un chevalet avec une toile en cours, de petites tables encombrées de pinceaux et de tubes de couleurs, des essais de jaune, bleu, du magenta, du vermillon et des carmins. Dans un coin, comme pour accueillir le visiteur, modèle éventuel, un sofa recouvert de kalampkars, des coussins multicolores et des poupées à tête de porcelaine, souvenirs d’enfance dont les yeux agrandis semblent attentifs à l’émerveillement que Germaine Lacaze recrée et diffuse dans chacune de ses toiles.

Devant la mezzanine, un lampion japonais, rouge. Aux murs quelques masques de Krishna, puis des tapis et des kilims témoins des séjours étrangers et des voyages qui ont rythmé sa vie et son œuvre.
Lors de ce tour d’atelier, le regard s’arrête inévitablement sur une lithographie, affiche d’exposition où le trait d’un pinceau chargé d’encre de Chine a immortalisé le visage de Germaine Lacaze avec cette expression du regard, mélange d’étonnement joyeux et d’admiration sans borne du monde, jour après jour.

Comme il faut classifier l’Art en courants, en ismes et en écoles, on a dit que Germaine Lacaze appartenait à la Réalité poétique ; certes mais n’est-elle pas avant tout la chroniqueuse enjouée de moments et d’instants de couleurs, d’émotions lumineuses, des joies et des tendresses ressenties par une jeune fille du début du siècle qui se sentait irrémédiablement attirée par le dessin et la peinture.

Cécile RITZENTHALER
Introduction de « Germaine Lacaze » aux Editions de l’Amateur –
Juin 1991

Le Bouscat (près de Bordeaux) a vu naître Germaine Lacaze. Il était logique qu’une grande partie de l’importante oeuvre du peintre gravite autour de la Gironde, la ville d’Arcachon, le Mouleau, les Abatilles et le petit Nice sur la côte atlantique.

Adolescente, elle va très vite se vouer à des études de dessin à l’Ecole Supérieure de Beaux-Arts de Paris en 1925. En 1931, elle obtient un diplôme d’architecture décorative. Il s’ensuit un véritable tour du monde qui la mène d’Amérique du Sud en Chine où elle donne des cours de dessin.

En 1962, elle retrouve le Bassin d’Arcachon et plus précisément le Pyla où elle réside chez Madame Sarthoulet. C’est l’époque pendant laquelle elle expose au Casino Mauresque avec les peintres de l’Ecole de Paris dont elle est issue. Ses toiles côtoient sur les cimaises en arabesques celles de Brayer, Bernard Buffet, Vasquez del Rio …

Son œuvre est considérable, bâtie sur des sensations fortes connues au cours de ses pérégrinations tout autant que sur les instants légers, fragiles, cueillis quotidiennement.

Après Alaux et G. de Sonneville, Germaine Lacaze a jeté son dévolu sur les plages encombrées de parasols et de cabines de bains semblables à des obélisques tronquées ou à des berlingots offerts au goût du soleil …

La peinture est froide, attisée ici et là par des tâches de couleur que sont les corps qui ont connu la morsure du soleil, par les zébrures grenat des cabines.

La forme est secondaire sans être totalement délaissée dans les échanges universels homme-nature. La matière est dense. Le développement des volumes, l’approche des plans qui s’imbriquent conduisent à penser que l’oeuvre est sculptée autant qu’elle est peinte.

Michel SZELENGOWICZ
Extrait « Le Bassin d’Arcachon vu par les peintres » – 1994