Tels les Parques antiques, trois volailleux, un homme et deux femmes, successivement, saignent, plument et étripent des volailles, dans un grand mouvement circulaire de haut en bas de la toile.
C’est d’abord le fermier en haut à droite qui tient l’animal par le cou, le sang coule sous le saignoir rouge. Puis les plumes volent avec la fermière au centre. Enfin la fermière de gauche vide et nettoie le corps des bêtes. Les abats sont stockés dans un seau au premier plan à gauche. Les volailles dénudées et vidées s’entassent sur une caisse en bois brut, les cous nus pendent et les pattes se redressent, seuls vestiges de leurs vies passées dans la basse-cour de la ferme.
L’artiste a saisi les gestes spécifiques des mains de chacun des personnages. Elles constituent les acteurs du film de la toile qui racontent tels des mimes les trois phases du traitement définitif des volailles. L’artiste les a placées sur une même diagonale qui traverse tout le tableau. Au-dessus de cette diagonale, les corps des trois fermiers, juste ébauchés, sont concentrés les yeux visiblement baissés sur leurs tâches respectives. En-dessous, c’est la transformation des corps des volailles, qui s’entassent in fine nues, bien offertes à notre regard, en pleine lumière au premier plan, à la fin du travelling. Les verticales rouges sur la droite relancent la dynamique de notre vision circulaire sur la toile.
Trois verres de vin rouge autour d’une bouteille sont enfin placés sur la caisse en bois à la verticale du saignoir. Le sang de la volaille semble se transformer en sang de la vigne.
Une grande diversité de couleurs pures, travaillées en profondeur, compose les matières de la scène avec des dominantes : rouge vif (rouge sang au sens propre), sur la partie droite ; jaune et blanc sur la partie inférieure ; verte sur la partie gauche ; le tout avec des bleus clairs et des bleus sombres en liaison, constituant une formidable polyphonie picturale symphonique et festive malgré la rudesse du sujet.
Ce sont des fermiers du village de Villeneuve-le-Comte, la famille Julien, qui ont servi de modèles à cette toile. Eleveurs et marchands de volaille – avant de faire des fromages – ils fournissaient l’artiste en produits fermiers lorsque Germaine Lacaze peignait dans son atelier de campagne de Seine-et-Marne. La toile a été élaborée dans leur ferme qui se situait juste derrière l’église de Villeneuve-le-Comte, puis a été terminée en atelier.
Exposée au Salon Populiste de 1957, ainsi qu’à une rétrospective de l’œuvre de la peintre en 1974 aux Ateliers d’Art de Saint-Maur-des-Fossés, cette toile est acquise par Roger Grellet, conservateur du musée de Saint-Maur-des-Fossés. Cette toile est actuellement détenue par le musée intercommunal de Paris Est Marne et Bois.
Cette toile a fait l’objet en juillet 2024 d’une vidéo zoom avec les interviews de Bernadette Boustany, conservatrice en chef du patrimoine du musée intercommunal de Paris Est Marne et Bois, de Julie Chanut, conservatrice-restauratrice du patrimoine spécialité peinture et art contemporain et de Lydia Harambourg, historienne critique d’art, membre correspondant de l’Académie des beaux-arts.
La force de cette oeuvre est de captiver notre regard par une succession de scènes animées qui nous suggèrent plusieurs lectures :
En premier, on y voit l’abnégation et la concentration de paysans dans leurs travaux quotidiens menés en famille.
En second, avec le vin partagé, on peut imaginer aussi la préparation d’un grand repas où tous les produits de la ferme sont sacrifiés en commun, constituant la première étape d’une grande fête familiale à venir.
Plus inconsciemment, on peut y voir un portrait de la création artistique, qui met à nu le cœur et toutes les tripes de l’artiste, devant nos yeux de consommateurs d’art.
Enfin, plus allégoriquement, on peut y voir un portrait des violences de la vie pouvant être paradoxalement à l’origine de joies dans un cycle éternel mystérieux que les êtres humains goûtent, subissent ou alimentent, sans savoir, les yeux fermés …
Au spectateur de rêver, c’est la force poétique des œuvres de Germaine Lacaze, même quand elles s’inspirent de sujets rustiques, privilégiés alors par les peintres témoins de leur temps, dont faisait partie Germaine Lacaze.